Génocide au Rwanda: Les banques accusées
Le parquet de Paris enquête sur une plainte accusant la banque BNP Paribas d'avoir financé un achat d'armes au profit des génocidaires en 1994 au Rwanda.
Celle-ci faite suite à une plainte déposée le 29 juin par l’association anticorruption Sherpa, du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) et de Ibuka France.
Elles accusent la BNP d’avoir autorisé en juin 1994 – en plein génocide et en violation d’un embargo de l’ONU – le transfert de 1,3 million de dollars du compte de la Banque nationale du Rwanda (BNR) détenu chez elle sur un compte de la banque suisse UBP détenu par le courtier en armement sud-africain William Tertius Ehlers. Ce dernier avait conclu un accord de vente de 80 tonnes d’armes et de munitions avec l’un des principaux organisateurs du génocide, le colonel Théoneste Bagosora, condamné par le Tribunal pénal international sur le Rwanda à 35 ans de prison pour crime contre l’humanité, lors d’une rencontre aux Seychelles le 17 juin 1994.
Les armes auraient été distribuées à la milice hutu des Interhamwe, principale organisation impliquée dans le génocide, selon les plaignants.
D'autres banques sur la sellette
Il n’est pas exclu que la plainte soit suivie d’actions similaires contre d’autres institutions financières. Car il y a matière. Dès 1992, l’organisation Human Rights Watch, avait révélé un contrat de fourniture d’armement de 6 millions de dollars conclu le 30 mars 1992 avec l’Egypte, signé par les ministres rwandais de la Défense et des Finances de l’époque, le colonel Augustin Ndindiliyimana et Enoch Ruhigira.
L’argent devait être versé sur le compte de l’attaché de défense rwandais à Londres au Crédit Lyonnais. Les ministres de la Défense et des Finances, du gouvernement suivant constitué en avril 1992, James Gasana et Marc Rugenera ont tous deux confirmé que le Crédit Lyonnais, malgré ses dénégations, avaient apporté sa garantie à cette opération.
Le Crédit Lyonnais pouvait difficilement ignorer qu’à cette époque, plusieurs massacres de Tutsis évoqués par la télévision française avait eu lieu, encouragés par l’Etat rwandais et que les officiers supérieurs de l’armée avaient identifié les Tutsis comme l’ennemi.
Dans son livre-fleuve de 1500 pages intitulé « La France au cœur du génocide », publié en 2010, le mathématicien français, Jacques Morel, du Centre national pour la recherche scientifique (CNRS) mentionne le rôle de la banque belge Belgolaise. Celle-ci a joué les intermédiaires, rappelle Morel, pour les versements relatifs à un contrat de 12 millions de dollars conclu le 3 mai 1993 entre le gouvernement rwandais et la société DYL-Invest, sur le compte de celle-ci à la Banque internationale de commerce, sise à Genève par la BNR.
La transaction concerne l’achat d’obus pour des automitrailleuses AML Panhard de fabrication française, de roquettes, de grenades, de kalachnikov et d’une montagne de munitions dont des obus achetés en Israël.
Eric Toussaint, politologue et porte-parole du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes de Belgique, épingle ce qu’il appelle la responsabilité de la Banque mondiale dans le génocide. Sa thèse est que les politiques imposées par les institutions financières internationales, principaux bailleurs de fonds du régime Habyarimana, ont accéléré le processus conduisant au génocide.
Au minimum, selon Toussaint la Banque mondiale a fait preuve d’une coupable négligence en laissant le gouvernement rwandais détourner l’argent de ses financements pour préparer le génocide.
L’argent consenti dans le cadre d’un accord conclu, juste avant le déclenchement de l’offensive du Front Patriotique Rwandais (FPR) en octobre 1990, avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire international aurait en effet servi à des dépenses d’une armée dont l’effectif est passé de 5 000 à 40 000 hommes entre 1990 et 1994. Par ailleurs, les prix des biens importés grimpaient et que le prix d’achat du café aux petits planteurs était gelé, sur ordre du FMI.
Du coup, affirme Toussaint, ce fut la ruine pour ces derniers qui constituèrent avec les pauvres urbains un réservoir permanent de recrues pour les milices Interahamwe et pour l’armée.
Pour justifier l’utilisation des prêts du FMI et de la Banque mondiale, le Rwanda fut autorisé à présenter d’anciennes factures couvrant l’achat de biens importés. Ce système a permis de financer l’achat massif des armes du génocide, accuse encore Toussaint.
« Les autorités rwandaises ont mis au point des artifices pour dissimuler des dépenses militaires : les camions achetés pour l’armée ont été imputés au budget du ministère des Transports, une partie importante de l’essence utilisée par les véhicules des milices et de l’armée était imputée au ministère de la Santé.. », relate le politologue belge. En continuant à réaliser des prêts jusque début 1993, les institutions de Bretton Woods, ont aidé un régime qui préparait un génocide, analyse-t-il.
Par ailleurs, le Conseil fédéral suisse affirme dans une réponse à une question parlementaire en septembre 1998 que des achats de machettes ont été effectués dans le cadre des financements de la Banque mondiale en 1991 et 1992, pour un montant de 149 000 dollars.
Dans une interview accordée à Radio France Internationale, le 7 avril 2004, l’ancien secrétaire général d’Oxfam-Belgique, à l’époque, sénateur socialiste, Pierre Galand affirme que la Banque de France, a continué d’honorer les créances pour le compte de la Banque nationale du Rwanda, même après la chute du régime génocidaire, et que l’armée française avait aidé à s’établir à Goma, au Congo.
« De là, elle donne des ordres de paiements internationaux. Quand les armes sont livrées, au mois d’août 1994, l’aéroport de Goma est contrôlé par la France », accuse Galand. Ce dernier reproche aussi à la Banque mondiale d’avoir cherché à dissimuler ses activités au Rwanda en prétendant qu’elle avait perdu l’ensemble des dossiers dans un déménagement.
Galand avait effectué un rapport en 1996 sur ces questions au gouvernement rwandais mais il n’a jamais été rendu public. Selon lui, pour deux raisons. « Le premier, c’est que le Rwanda de 94-96 était un Rwanda complètement assommé par le drame de ce génocide , et il fallait que ce pays se relève. Pour se relever, il avait absolument besoin de l’aide internationale et donc ça permettait aux bailleurs de fonds d’exercer un chantage extraordinaire: «/si vous voulez être aidé, vous mettez ça sous le coude. Ils étaient mis dans une situation du faible au fort».
En outre, avance Galand, le Rwanda qui a dû céder, a préféré garder ce rapport comme instrument de chantage plutôt que comme instrument de réparation.
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