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Émeute en FranceUne balle dans le cœur

Essay von Selim Nassib

En France, chaque camp soigne son récit à lui. Retour sur un évènement qui a ébranlé et divisé le pays.

Des voitures incendiées à Nanterre vendredi Foto: Karim Ait Adjedjou/imago

N ous, motards policiers, gardiens de la paix, il nous narguait, ce petit con. A son sourire, ses yeux, ça se voyait. Même pas l’âge d’avoir son permis de conduire, et puis cette voiture, une Mercédès, sûrement volée. Vos papiers et il démarre en faisant crisser les pneus, qu’est-ce qu’il croit, on a nos motos, nous, entraînés pour ça, un tournant, deux, on le coince.

Même pas honteux, le petit, même pas contrit – mais moqueur, insultant, aucun respect. Y a de l’abus, y a des limites, la rage nous prend. On sort le flingue pour lui faire peur, qu’il ravale son ricanement, efface son sourire, et qu’il comprenne, et qu’il arrête. Lui faire peur? Que dalle! Il double la mise, nous met au défi, la haine dans les yeux, l’insulte aux lèvres.

Selim Nassib

wurde 1946 in Beirut geboren und lebt seit 1969 in Paris. Er war als Journalist für zahlreiche Zeitungen tätig, unter anderem als Nahost­korrespondent für die französische Zeitung „Libération“. Er arbeitet als freier Schriftsteller und Drehbuchautor.

„Tu vas te prendre une balle dans la tête“, qu’on lui dit. Mais lui, rien à foutre. Il démarre aussi sec, en trombe, de nouveau. Bon, c’est vrai, on a fait une connerie, on est nerveux nous aussi. On voulait pas ça, je jure qu’on voulait pas ça, c’est parti tout seul, un accident, on l’avait averti.

Maintenant, qu’est-ce qu’on fait? On est bien embêtés. Y a qu’a dire qu’il nous a foncé dessus, un délinquant, un enfoiré, un danger public. Y a qu’a souffler qu’il était connu des services de police, des condamnations „ longues comme le bras “. Ça n’a pas fait un pli, les chefs nous ont couverts comme toujours, légitime défense, donc, et une plainte déposée pour refus d’obtempérer. Mais il y a eu un hic. Le portable. Maintenant, il y en a toujours un qui traîne. C’est le problème. La vidéo de quelques secondes qui montre comment le gamin est mort est devenue virale, tout s’est embrasé.

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Naël, ç’aurait pu être moi, toi, n’importe lequel d’entre nous. On a tous dix-sept ans. Nous savons comment ils nous parlent depuis toujours, comment ils nous humilient, nous contrôlent dix fois par jour, au faciès, jusqu’au pied de nos immeubles. On a grandi avec ça. Comme si on était de trop, comme si on n’avait pas le droit d’être là. Nous sommes chez nous mais nous ne sommes pas chez nous. Nulle part.

La rue est à eux. Notre religion, nos gueules, la couleur de notre peau, ils n’aiment rien de nous. Ils nous pourchassent pour ce qu’on est, pas pour ce qu’on fait. C’est pour ça qu’on détale dès qu’on les voit. Naël, lui, leur a tenu tête, ils n'ont pas apprécié – mais de là à lui mettre une balle dans le cœur… C’est ce qu’ils ont pourtant fait.

Et notre sang s’est mis à bouillir, la rage, quelque chose de sauvage est monté en nous. On est des enfants devenus fous. L’envie de tout casser nous a dévoré – on y est allé. Banques, assurances, préfectures, commissariats, tous les lieux d’autorité. Mais aussi mairies, médiathèques, maisons de la culture, voitures des voisins, restos du cœur… Nous avons détruit notre propre quartier, mangé notre propre chair, saccagé tous les lieux censés nous aider à en sortir.

Ils disent: „Cette violence se retournera contre eux“, et ils ont raison. Ils disent: „Il y a des casseurs qui frappent et qui pillent, qui profitent de l’occasion“, et ils ont raison. Ils disent: „Il y a aussi de jeunes citoyens pacifiques légitimement révoltés“ – mais ce n’est pas tout à fait comme ça. Nous sommes d’un côté et de l’autre, la frontière est plus floue qu’ils ne croient.

On les voit bien, les pilleurs, ceux qui dévalisent les Apple store. Mais nous avons mis le feu nous aussi, cassé du flic, lancé des pavés, saisis d’une frénésie de vengeance irrépressible, un ras-le bol que rien, rien, ne pouvait arrêter. Et si nous avons volé, c’était de la nourriture et des sacs de riz – parce que la misère, on sait ce que c’est. Nous sommes ceux à qui on a trop fait.

J’avoue, il y a quelque chose de festif dans notre soulèvement, une ivresse de détruire, on existe enfin, enfin entendus. Et ça marche: en catastrophe, ils ont inculpé le flic d’homicide volontaire et l’ont mis sous les verrous, ils ont condamné son action, Macron lui-même a déclaré que c’était „ inexplicable “, „ inexcusable “. Juste pour nous calmer. Ils ont été obligés d’arrêter bus et tramways, annuler concerts et festivités. Ils chient dans leur froc en pensant aux Jeux Olympiques de l’an prochain.

Pour nous amadouer, ils disent qu’ils ont investi en vingt ans plus de 400 millions d’euros afin d’améliorer notre environnement, détruire des barres d’immeubles sordides, construire des bâtiments de taille humaine. C’est vrai, ils l’ont fait, mais trop tard.

On a trop attendu. Ce n’est pas ça qui nous fera croire que la police est là pour nous protéger, que nous avons une pleine place dans la société. Kylian Mbapé, les gens du cinéma et de la culture, les directeurs de théâtre, les imams, la gauche, tout ce que le pays compte de bonne volonté nous appellent à l’apaisement. On sait bien que ça doit venir. Mais pour nous, c’est difficile. On est fâchés. Pour de bon.

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Nous sommes l’extrême-droite. Ils croient effrayer les gens en nous montrant du doigt, ils ont beau dire, nous sommes aux portes du pouvoir – et les images d’incendies et d’émeutes ne peuvent que nous servir.

Deux syndicats de police minoritaires ont osé parler de „hordes sauvages“ et de „nuisibles“ qui s’en prennent à l’ordre public. Ils se sont déclaré „ulcérés“ par l’arrestation de leur collègue et son inculpation. „Demain, ont-ils ajouté, nous serons en résistance et le gouvernement devra en prendre conscience“. Les „démocrates“ se sont aussitôt émus et la gauche les a accusés de sédition.

Critiqués de toutes part, ils ont été obligés de retirer leur communiqué des réseaux sociaux. Mais l’objectif était atteint: ils ont réussi à exprimer l’indignation de toute la base policière.

Et ça, c’est bon pour nous. La cagnotte pour le policier arrêté à réuni 400.000 euros, celle pour la mère de Naël, 50.000. C’est dire. Face à l’émeute, nous avons toujours affirmé que la seule solution était de la mater. Aux prochaines élections, nous serons les principaux bénéficiaires de tout ce qui vient de se passer.

*****

Moi, mère de Naël, je n’avais pas dix enfant, je n’en avais qu’un seul. Le policier, il a vu une tête d’Arabe, il a tiré. Mais je n’en veux pas à la police, je n’en veux qu’à un seul, lui, celui qui a tué mon fils.

La traduction allemande de ce texte se trouve ici.

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